HOME
 
   
Octobre
Novembre
AU JOUR LE JOURNAL - WIRE - SUCIDE - MARIA TANASE - IMPRESSIONS
You don't know what love is -
CECIL TAYLOR - PETER KOWALD
Vendredi 17 octobre Ca va vraiment trop mal pour moi. Je vais arrêter provisoirement ce journal pour vous éviter la litanie de mes plaintes et récriminations. J'ai pu éviter ce travers jusqu'à maintenant. A bientôt. C'est le salon de l'automne dans ma tête. Ma feuille tombe sur des sonorités fanées. La rentrée des crasses et autres saloperies. Désespoir, déception, trahisons et déconfiture. Pas de concerts ni de festivals en vue. Rien. Aucune perspective. Je pourrai mettre en ligne les messages électroniques que j'ai envoyé à quelques organisateurs de concerts et festival mais à quoi bon… Quand ils ne pleurent pas pour obtenir leur subventions ils se croient tout permis vis à vis des artistes. C'est dégueulasse. Est-ce que l'on peut progresser en musique quand ces salauds d'organisateur bloquent toute possibilité de jouer alors même que le public aime notre musique et nos expérimentations. Ils veulent juste imposer leur esthétique. Ils prétendent connaître les goûts du public. C'est faux. Ils ne savent rien ! Je vais approfondir la dialectique entre les mélodies du jazz et le discours explosé de la "free music" Réitérations de la musique électronique. Abstractions sonores et plaisir de la simple mélodie. Quoiqu'il en soit la plupart des producteurs, amis et relations qui ont écouté mon prochain disque l'ont aimé. Il sera probablement produit bientôt.
Dimanche 29 septembre Bertrand Blais a remixé la pièce dédiée à Claude Closky. Il s'est servi de mon studio numérique sans aucune utilisation d'autre matériel électronique. Il a fait un travail formidable. J'étais très impressionné par la précision de ses réglages. Chaque piste est analysée avec équilibre. Je n'arrive pas à croire que l'on puisse faire aussi bien avec mon matériel. Sans ses conseils je n'aurai jamais réussi à mixer et terminer "White Light !" Je lui suis très reconnaissant. En fin de journée j'ai été au goûter apéritif "Dokidoki". Dokidoki est une agence de graphistes, architectes et illustratrices. Toutes des femmes. Elles sont très gentilles et très douées. Mon site est hébergé chez elles. J'étais un petit gars sans mémoire machine. Elles m'ont offert quelques mégabythes pour héberger mon web journal sur leur serveur informatique. J'ai rencontré à ce goûter un type que je connaissais de vue. Surprise ! C'est "Monsieur Sperman", plus connu sous le nom de X-Tarlouse. J'avais acheté son disque vendu sous le manteau. Un disque de musique électronique réalisé en Chine et tiré à un nombre ultra confidentiel d'exemplaires. Un bon disque réalisé par un véritable aventurier. Il a vécu un an en Chine. Avant il vivait en Inde, à New York ou dans une tribu de Tanzanie. Il est resté six mois avec cette tribu d'hommes presque préhistoriques. Il a enregistré leurs chants et danses. Musique de nuit. Musique de jour. Deux disques compacts bientôt commercialisés. "Monsieur Sperman" est un dur à cuire. Il n'a pas l'air d'un musicien. Il a plutôt l'air d'un poète boxeur comme Arthur Cravan. Catégorie super plume. Il est capable d'abandonner le style occidental du petit confort. Il est pas du genre petit, con et pas fort. La vie dans cette tribu c'est manger quand on peut, boire quand c'est possible et dormir quand ça se présente. Comprendre la vie avant la civilisation n'est pas un truc de touristes. Très peu de gens sont capables de retourner en arrière sans se planter. Loin, très loin.
Mercredi 2 octobre. J'ai été écouter Emiko Ota et Andrew Sharpley à Mains d'Œuvres de Saint-Ouen. La musique de "AE" évolue en permanence. Je les trouve passionnant à écouter. Ils renouvellent tout le temps leur répertoire. En même temps on pouvait voir une projection de Jan Svankmajer, un artiste tchèque. AE ouvrait la soirée. Ensuite le duo Ten Tendo. J'ai beaucoup aimé les 5 premières minutes. Je les trouvait très bon. Deux énormes animaux techno. Des ours en peluche de foire qui jouent des "game boy". Réjouissant. Après dix minutes ca commence à bien faire. Au bout de vingt minutes je n'en pouvais plus. Totalement vide et creux ! Je n'ai même pas attendu le groupe vedette de la soirée "Dat Politics" dont on m'a dit le plus grand mal. La soirée était nommée "Antigroove un" Anticonstitutionnellement.
Jeudi 3 octobre. La couverture de "Nova Magazine" est affichée dans tous les kiosques à journaux de Paris. En photo une belle fille en slip et bas noirs. Lèvres noires. Bouche grande ouverte de chanteuse en plein délire hystérique. Elle est membre de la communauté d'Otto Muehl. Sur la photo il y a aussi Otto lui même, sa femme et son agent artistique. C'est une image de leur performance nocturne à la Galerie Rabouan Moussion. On comprend bien à quel point l'époque a changée avec les performances d'Otto. Ses "Actions" empreintes de volonté révolutionnaire se sont transformées en démonstrations tape à l'œil. Cul chic et curriculum choc. Spectacle à vendre. Récupération instantanée du bénéfice de l'image. "Action" transformée en "Obligation". Concept en solde. Il refait sa performance pour la télé ! Cette télé qui évidemment le méprise totalement. Grosse publicité gratuite mais il s'est bien fait baiser si l'on tient compte du message qu'il veut faire passer… Le message c'est quel beau cul ! Programme minimum. Enfin peu importe. Otto Muehl n'a jamais entendu parler de Guy Debord. Il a du charme et de l'énergie à revendre. C'est un grand artiste toujours épatant.
Samedi 5 octobre
Les avions sont remplis de retraités en vacances. Le grand projet de loi sur la sécurité ne les concernent pas. Le Canard parle de projet "écrit à grands coups de matraque et toutes sirènes hurlantes". Les avions sont remplis de gens bizarres. La stratégie Messier basée sur les loisirs, les médias et le téléphone s'est écroulée. Le Mozart de la finance s'est fait virer juste avant de conduire ses sociétés au dépôt de bilan. Je sonne à Orly. Je ne sonne pas à Bordeaux. Je sonne à Ajaccio au portillon détecteur de métaux. Aéroport. Ciel bleu. Nuages. Allô (bruit de Méditerranée allô, allô, personne !) Pourquoi tous ces gens prennent-ils l'avion ? Mystère. Je n'étais pas à Paris pour "la nuit blanche" organisée par notre bon maire. Style performance socialiste. Tout le monde dehors une nuit et plus rien. On ferme les bistros à deux heures. On ferme définitivement des bars parce que s'y produisent des musiciens. La plupart des autres nuits il ne se passe rien. Le mélange "Nuit blanche" et Art contemporain ne me disait rien qui vaille. Je travaille presque tous les week-ends sur des retransmissions télévisée de match de football. Je suis musicien. Je travaille aussi comme technicien pour payer mon loyer et le reste. Je suis intermittent du spectacle. Comme tous mes compagnons de travail notre salaire a été baissé autoritairement de 25%. Pour les tournages en extérieur il ne nous reste plus qu'une demi pige pour le trajet de retour. Presque tout le monde a accepté. Voilà comment on se fait baiser ! Bref "la nuit blanche" semble avoir été une grande réussite d'après le témoignage de Marie-Jo et de quelques amis. Le coup de couteau dans le ventre du maire a quelque chose d'atrocement romantique. Chaque manifestation de vrai démocratie se solde par un désastre. Les dingues, malades et pauvres laissés pour compte attaquent de toute part dès qu'il n'y a pas des flics partout. Notre société récolte ce qu'elle a semé. Laisser les parisiens pénétrer dans leur mairie était une belle idée saine et démocratique. Un abruti criminel sort son couteau sans raison apparente. Et ça justifie une nouvelle fois toutes ces conneries de sécurité. Au secours police ! Pourquoi tous ces gens prennent-ils l'avion ?
Dimanche 6 octobre. J'ai raté le dernier train pour rentrer chez moi ce soir. Je suis condamné pour passer une nuit à Bordeaux. Drôle de ville. Cité secrète. Dimanche soir le Quai de Paludate est vide. Personne à part deux ou trois pûtes fatiguées. C'est mort. Les dizaines de bars et de boites sont presque tous fermés. Tous cote à cote sur le même trottoir. Je pense à Londres ou à San Francisco. Alain Juppé fait rentrer des paquebots dans sa ville. C'est une trouvaille ! Des paquebots remplis de retraités des fonds de pension américains. Ils viennent avec leur air lugubre "Au comptoir de Jazz" une des rares enseignes ouvertes le dimanche soir. Ils écoutent de jeunes joueurs de blues du cru. Ces jeunes musiciens de Bordeaux imitent à la perfection les vieux noirs du Delta. L'histoire se répète sans cesse jusqu'à la caricature. A minuit "La grande Polux dancing" ouvre ses portes. C'est une boite "gay et lesbien c'est bien" d'après leur slogan. Décoration kitsch à souhait. Peu de monde. Musique disco jusqu'à l'obscène. C'est bon ! J'ai ma dose. J'en ai ma claque après une journée de travail harassante. Je rentre vite dans mon hôtel pourri près de la gare Saint-Jean. Fatigue. Solitude. Sommeil gâché par l'alcool. Retour difficile.
Vendredi 17 octobre Ca va vraiment trop mal pour moi. Je vais arrêter provisoirement ce journal pour vous éviter la litanie de mes plaintes et récriminations. J'ai pu éviter ce travers jusqu'à maintenant. A bientôt. C'est "le salon de l'automne" dans ma tête. Ma feuille tombe sur des sonorités fanées. La rentrée des crasses. Saloperie. Désespoir. Déception. Trahisons et déconfiture. Problèmes affectifs. Pas de concerts ni de festivals en vue. Rien. Aucune perspective. Je pourrai mettre en ligne les messages électroniques que j'ai envoyé à quelques organisateurs de concerts et festival mais à quoi bon… Quand ils ne pleurent pas pour obtenir leur subventions ils se croient tout permis vis à vis des artistes. C'est dégueulasse. Est-ce que l'on peut progresser en musique quand ces salauds d'organisateur bloquent toute possibilité de jouer alors même que le public aime notre musique et nos expérimentations. Ils veulent juste imposer leur esthétique. Ils prétendent connaître les goûts du public. C'est faux. Ils ne savent rien ! Je vais bientôt arrêter ce journal. Je vais approfondir les relations entre les structures rythmiques du jazz et le discours explosé de la "free music" Réitérations de la musique électronique. Abstractions sonores et plaisir de la simple mélodie. Quoiqu'il en soit la plupart des producteurs, amis et relations qui ont écouté mon prochain disque l'ont aimé. Il sera probablement produit bientôt par Laurent Cauwet chez "Al Dante". Le dynamique éditeur de poésie, littérature et art contemporain en France.
15 octobre. Cette semaine Paris fête les 20 ans de "Wire". La meilleure revue de musique anglaise. Son titre est inspiré d'une composition de Steve Lacy : "The Wire". Des concerts sont organisés au "Batofar" et aux "Instants Chavirés". J'étais plutôt extrêmement déçu par ce que j'ai entendu. Par dessus le marché c'est le début d'une nouvelle tempête dans ma tête et dans ma vie. La couverture d'octobre de "Wire" titre en lettres rouges énormes "Suicide". Evidement c'est un article sur le groupe de Martin Rev et Alan Vega. Bonne analyse. Documentation complète à l'anglo-saxonne. J'apprends entre autre que des types ont fait jouer cinq copies du premier album de "Suicide" en même temps à des vitesses différentes. J'adore ce genre de démarche. "Suicide" en lettres rouges énormes. C'est de l'humour anglais. C'est de l'humour qui porte. Je me sent tellement mal que ces lettres rouges me fascinent. Suicide ! Belle idée pour les vingt ans du magazine ! Belle idée pour tout le monde musical !
Mercredi 16 octobre j'ai écouté Véronique Balmont et son orchestre à la Maroquinerie. Nouvelle signature de "Saravah" L'ensemble m'a fait une très bonne impression. Je n'ai malheureusement écouté que la fin de leur concert. Très musical. Très touchant. L'inévitable repas d'après concert avec tous les copains de Saravah m'a fait rencontrer des gens très sympathiques. Dominique Cravic, guitariste chez Henri Salvador et leader "Des primitifs du futur". Et son pote Hervé Legeay, le très rock guitariste de Sanseverino. Nous avons des amis communs. J'ai passé un bon moment à discuter avec eux. Fin de soirée avec Benjamin Barouh. Nous sommes allé boire un verre dans un bistro que nous fréquentions à l'époque de "PopoColor". Souvenirs…
Mi-octobre (do dieze-mi) J'ai trois semaines de retard pour rédiger ce journal. Je n'arrive plus à suivre. J'essaye de boucler le mois d'octobre et j'arrête. Provisoirement. Définitivement. Peut importe. Je vais résumer et basta !
J'ai beaucoup travaillé sur l'édition française de Maria Tanase pour Catherine Peillon de "l'Empreinte Digitale". Je ne sais quand le disque sortira. Je ne sais même pas si l'édition se fera réellement. Il y a dix ans, je voulais acheter les droits d'édition au label roumain "Electrecord". Mais je ne pouvais pas tout faire. J'avais abandonné l'idée. Je n'ai malheureusement pas du tout le sens du commerce. Cette fois je ne m'occupe que de la direction artistique sur ce projet. La production c'est pas mon job. J'espère que le public français découvrira la plus grande chanteuse roumaine disparue il y a quatre décennies. C'est beau à pleurer !
Samedi 19 octobre
Exposition Jimi Hendrix dans le temple classique. Premier jour d'ouverture. Grand public à la "Cité de la Musique". Affluence des grands jours. Week-end au musée. Les gens ont l'air super content. Moi aussi. Jubilation fétichiste. Non Jimi n'est pas mort ! Quelques bouts de "Stratocaster" fracassés. Des textes de chanson griffonnés sur du papier à entête d'hôtel. Le meuble phonographe de ses parents. Des photos de Jimi enfant puis à l'armée. Ses costumes de scène etc. Et surtout sa musique. Toujours absolument géniale 30 ans après. Je retrouve deux idées graphiques proches de celles réalisées à notre Atelier "Zéro-un". Un mur recouvert des pochettes des "Long Playing" de Jimi sorti dans le monde. C'est exactement la même idée que mon "Hommage to Steve Lacy with one mistake". La sortie de l'expo se fait à travers un espèce de backstage capitonné ou les gens sont invités à graphiter. C'est un peu le matelas de "Mixofluxus". Décidément les idées sont dans l'air du temps. Troublant. L'air du temps. J'étais avec mon fiston et une de ses copine. Elle a dessiné un graffiti de guitare "avant" puis guitare "après". Une guitare cassée ! Elle a dix ans. Non Jimi n'est pas mort ! L'autre exposition "Le corps en scène" est tout à fait remarquable. Belle réussite. Tous les classiques du vingtième siècle du rock and roll à Mauricio Kagel, de Nam June Paik à Kraftwerk en passant par Christian Marclay et le splendide costume de Jean-Paul Gaultier pour Madonna. C'est formidable. Je ne vais pas me transformer en critique d'art. Il y a trop à dire. J'ai adoré l'installation "Film Dress" de Laurie Anderson. Une robe blanche gonflée par de l'air sur laquelle est projetée un film au ralenti. Simple et magnifique.
Dimanche 20 octobre. Je suis en pleine dérive. "Destroy, destroy, destroy ! ". Je vais vers une heure du matin à une soirée aux "Folies Pigales". C'est la grande force de Paris de monter des escroqueries comme ce genre de soirées. C'est pas la "Grande escroquerie du rock and roll". C'est la soirée "Escualita : la première soirée travestie et transsexuelle". Il est précisé que cette soirée est "ouverte à tout le monde". Pûtes professionnelle déguisées en amateur. Jeu de rôle. A la place du trouble passage de l'autre coté c'est le Pigale à la con qui revient au galop. Chaque travelo à son honorable correspondant, son maquereau, son copain ou son ange gardien. C'est un peu le style flic en civil. Par contre la musique est très bonne. Je reste une heure et j'me casse. Arnaque sur les consommations. C'est plein de gens jeunes avec l'air triste et quelques vieux cons allumés visiblement content d'être là.
Lundi 21
Je cherche les paroles de "You don't know what love is" sur internet. J'écoute en boucle "Lady in Satin". Avant dernier disque de Billie Holiday enregistré en février 1958. Des chansons d'amour écrite dans le plus pur style kitsch américain. L'orchestration de Ray Ellis est superbe. Violons ultra romantique. Paradoxalement cet enregistrement me fait penser au "Chant de la Terre" par Kathlenn Ferrier et le Philharmonique de Vienne dirigé par Bruno Walter. Bouleversant. Cette voix de femme domine l'orchestre tout en semblant prête à se briser à chaque instant. L'étonnant est que l'on trouve sur Internet des versions différentes de "You don't know what love is". La chanson est tellement forte que d'autres auteurs réécrivent des paroles plus contemporaines. Genre post féministe politiquement correcte mais avec des paroles encore plus désespérées.
Vendredi 25. Cecil Taylor avec Bill Dixon et Tony Oxley à la Cité de la Musique. Toujours dans le cadre de la manifestation "Electric Body". Ils n'ont pas changé d'idée depuis 30 ou 40 ans. Ils étaient géniaux. Ils le sont encore plus maintenant. Les messagers de l'énergie des années 60 et 70 n'ont pas plié. Ils ne se sont pas dégonflés. Pas misérables. Pas lamentables. Ils nous apportent l'espoir et la force qui s'est volatilisée avec l'arrivée du numérique et avec l'acceptation générale du marché libre. Ils expriment la révolte la plus constructive qu'il soit possible d'imaginer. L'espoir dans l'être humain ! Cecil Taylor semble avoir moins de quarante ans. Il danse et il dégage une force diabolique. Il a pourtant passé le cap des soixante dix ans. Je n'avais jamais perçu de manière si aigu la qualité et la sensualité de son toucher pianistique. Marin magique au centre de la tempête. La superbe acoustique et la qualité du piano de la Cité révèle à quel point Cecil Taylor est proche des plus grands concertistes classiques. En même temps c'est une démonstration sur la liberté de l'improvisation. Oui ils improvisent à fond. Improvisation ! Improvisation ! Et toujours improvisation totale ! Evidement je n'oublie pas le génial Tony Oxley. Perfection au delà du concevable… Et l'audace de Bill Dixon avec sa trompette reprise dans un schéma électronique très astucieux. Mes propos sur Taylor sont aussi valable pour eux deux. Ils expriment la jeunesse éternelle. La musique au plus haut degré de l'art. La musicalité comme absolu. Simultanément ils projetaient sur grand écran leurs œuvres graphiques et picturales. Rien ne les arrête. Ils sont aussi excellent comme peintres. J'avais un peu l'impression d'être en présence de ces hommes du "Siècle des Lumières" des encyclopédistes du monde contemporain. Leur concert fût pour moi un moment de lumière dans l'obscurité de cette année de guerre invisible.
Lundi 28 octobre Répétition avec la jeune pianiste Nush Werchowska. Je l'avais rencontré à Nantes. Elle jouait en première partie de mon concert avec Fred Van Hove. Elle voulait absolument jouer avec moi. Bonne idée. Le batteur Gilbert Roggi était sur place dans la salle de "L'avant scène" Toujours prêt à improviser. Nous avons enregistré en trio "Free area 345". Improvisations très réussies. J'espère que nous ferons des concerts.
Début novembre
Concert de Prince au Zénith. Concert "sold out" sans aucune publicité. Puis traditionnel passage dans la nuit au "Bataclan" Je suis venu vers deux heures du matin. J'étais à la dérive avec une soudaine envie de l'entendre. J'arrive. Une queue pas possible. Des "happy few" et des "aficionados" dans tous les coins du boulevard. Des spéculateurs vendaient les billets 150 euros ! 100 euros après discussion. Trop cher pour moi. Et puis merde ! Tant pis ! Je reste confiné dans ma tristesse. Des slips dans une vitrine avec la marque imprimée en grosse lettre. J'ai une idée stupide que je ne creuserait pas. Vendre des slips avec le titre de votre chanson favorite bien voyant sous votre nombril. "I'm a fool to want you" par exemple. C'est la nuit. Lent retour. Des sacs poubelles transparents remplis de feuilles mortes traînent sur la chaussée. Avec leurs invraisemblable inscription "propreté égale sécurité". Version conceptuelle et silencieuse de "Automn leaves". Quelques jours plus tard mon ami Jam m'a prêté le dernier disque de Prince. "Rainbow Children" Formidable. Stimulant. Génial.
Sur Internet j'ai trouvé la partition de "Impression" de John Coltrane. Je me suis remis à étudier cette œuvre clé. Ce chef d'œuvre m'obsède depuis toujours. Le processus musical est de réapprendre sans cesse ce que l'on sait déjà. Illumination ! Tout est dans tout ! Composition miraculeuse ! C'est une formule magique pour l'improvisation. Une essence du secret musical. La clef du coffre au trésor de la liberté en musique. Ouverture sur le "free jazz". Cette composition jouée à la moitié de son tempo introduit à la compréhension du "rhythm and blues". Stylisée d'une certaine manière avec une très grande précision rythmique c'est du "funk". Compris de manière mélodique c'est une introduction aux musiques de l'Inde du Nord et de l'Europe orientale. "Impression" contient seulement deux accords mineurs séparés par un demi ton. Impression à la Debussy. Si l'on additionne les deux gammes générées par ces deux accords on trouve le total chromatique. Tout le vingtième siècle. La série complète. Cette composition ne garde plus que la structure des 32 mesures du jazz classique. Forme AABA prête à exploser. Juste après John Coltrane plonge définitivement dans le free jazz le plus débridé. Tout est résumé dans "Impression".
Vendredi 8 novembre. Soirée bouleversante organisée par Lê Quan Ninh aux "Instants Chavirés". Hommage à son ami Peter Kowald décédé en septembre à New York. Un film de Laurence Petit-Jouvet raconte la tournée de Peter aux Etats-Unis. "J'avais envoyé un message sur Internet pour annoncer mon intention de jouer en Amérique. Quinze jours après je recevais plus de cent invitations." Il loue une voiture et traverse le continent avec sa contrebasse et la réalisatrice du film. New Orleans, Mississippi, Texas, Californie, New York… "C'était un rêve de gamin". Dans chaque ville il joue avec des musiciens locaux. Jeunes. Vieux. Improvisateurs. Jazzmen. Il rencontre des intellectuels et des gens simples. Des noirs, des blancs et des indiens. L'Amérique dans toute sa splendeur et sa vitalité. L'Amérique que j'aime. L'Amérique de la paix et des opposants à l'impérialisme. L'Amérique des inventeurs du blues du jazz et du rock and roll. Kowald est curieux de tout. Fin du film. Le concert débute comme un fondu enchaîné avec les photos historiques de Gérard Rouy. Hommage vivant. La musique est improvisée par Phil, Paul, Peter, Daunik, Ninh, Wade, Ute… La "free music" est vraie et passionnante dès qu'elle n'est plus une succession de trucs stylistique et de tics instrumentaux plus ou moins prétentieux. La "free music" est une discipline de concentration collective pleine de risques et d'incertitude. Bel hommage. Fin. Applaudissements prolongés. Ninh présente la projection d'une interview de Peter Kowald. "Je veux jouer comme si je vivais il y a deux mille ans". Il explique clairement ses influences. Dans sa jeunesse il a fréquenté toutes les manifestations "Fluxus". Le film montre ensuite Kowald en solo. Un solo de contrebasse comme je n'en ai jamais entendu. Magnifique. Renversant. J'ai pleuré d'émotion. Peter Kowald était un gigantesque musicien. Plans séquence sur fond de mur en brique rouge avec une grande horloge arrêtée à 23h00. C'est l'heure de sa mort ou de sa naissance à un point quelconque du globe. Il est forcement 23h00 ou 11h00 quelque part dans le monde. Génie disparu. Film bouleversant. Horloge arrêtée à 11h00. Le temps s'accélère. Le temps s'arrête. Toute la "free music" exprime cette sensibilité. Retrouver les temps anciens dans l'avenir. Modernité de l'instinct et de l'instant. Absolu passage du temps.
 


in memoriam Peter Kowald
Photo: Hermann Maria Gasser


Steve Lacy est retourné s'installer définitivement aux Etats-Unis. No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, No Baby, He's back, Ohhhh No Baby...