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(mai-juin
2002
AU JOUR LE JOURNAL DIVERS CONCERTS
LA COUPE DU MONDE ET LA GUERRE DES ETOILES
Mardi 11 juin. La Coupe du Monde c'est fini pour la France. Elimination avant les huitièmes de finale. Déception générale. Zéro but. Deux matches perdus et un match nul. "Le retour de la droite c'est le retour de la France qui perd !" Je trouve ce commentaire dans le courrier des lecteurs de "Libération". Le président de la Ligue Nationale de Football explique doctement qu'il s'agit d'un accident. Chacun raconte sa version du drame à travers téléphone portable ou tout autre moyen de communication destinés à répéter les délires des journalistes. Bleu, "bleur"; "blues" et tristesse à chaque seconde. Maintenant ça va être le retour des bleus et celui d'une chambre bleue horizon. Fin du rêve black, blanc, beur.
Lundi 10 juin. Steve Lacy en duo avec Mal Waldron au Sunset. Le génie n'est pas essentiel, il n'est pas important, il est simplement fondamental et évident. Steve s'est bien remis de son accident. Il sourit tout le temps et semble avoir vingt ans de moins. "Je ne peux tout de même pas regarder les gens avec une gueule de décavé". Il joue seulement dans la tessiture de l'instrument et ne monte plus dans l'extrême aigu. A la pause il me dit très sérieusement : "Quand on ne peut plus faire de conneries, on ne peut plus rien faire ! " Steve Lacy jouait des compositions de Thelonius Monk lorsqu'il est arrivé en France sous le général De Gaule. Trente ans après nous sommes sous le régime de Jacques Chirac et Steve joue toujours des compositions de Thelonius Monk ! Et c'est formidable ! Et il va rentrer définitivement aux Etats-Unis après avoir vécu à Paris pendant trente ans… A la fin du premier set nous avons écouté le discours de la sympathique danseuse Brigitte Lefèvre. Elle était chargée par Catherine Tasca, la ministre de la culture du gouvernement précèdent, de remettre la médaille de Commandeur des Arts et des Lettres à Steve. Il semblait très ému par ce message de la patrie reconnaissante et quelque peu aveugle.
Jeudi 6 juin. Enregistrement avec Bertrand Blais au studio Mercredi 9. Nous avons convenu d'une improvisation modale au saxophone plus modulateur en anneau jouée sur une programmation électronique. Cette musique intitulée "début et faim" est réalisée pour la compilation Human Art http://www.human-art.org vendue au profit de l'Association Contre la Faim. http://www.acf-fr.org La séance se passe à merveille. Les deux ingénieurs du son font preuve d'une grande habileté dans le mélange des composantes numérique et analogique de l'enregistrement. Ce studio m'a beaucoup impressionné par son accueil chaleureux et par sa qualité technique. Les instigateurs de mercredi 9 ont acheté ou loué un parking entier. Il ont installé en lieu et place des bagnoles une douzaine de salles de répétition louées à l'année. Les musiciens ont un petit studio très intime et parfaitement propice à la création. Le studio d'enregistrement est au cœur de cette ruche sonore ou tous les styles de musique sont représentés.
Vendredi 31 mai. Champagne, vins fins, nourriture de luxe et grande affluence mondaine à la magnifique fête des Editions Al Dante galerie 14/16/Verneuil. Galerie installée presque en face du domicile de feu Serge Gainsbourg. Ce quartier niché derrière l'école des beaux arts est devenu une vraie caricature pour touristes américains pétés de fric. Laurent Cauwet présentait son journal "à quel titre ?" Selon une source proche du dossier, le rachat des minoritaires d'Elector (trade mark) par SinexPlur (registred) n'est pas encore planifié… Journal réalisé uniquement par ses jeunes auteurs tous moins de trente cinq ans tous prosateurs très intéressant tous d'avant garde et d'avant la lettre. Ils ont en commun d'utiliser très peu ou point du tout les signes de ponctuation pas de virgule ni points ni exclamation ni guillemets ni suspensions… La prose désarticulée devient tendue comme la peau d'un tambour malheureusement la plupart de ces auteurs sont incapables de faire résonner leur prose en public ils écrivent des livres superbes mais sur scène ils sont mauvais comme pas possible et pas de rythme du tout. Manuel Joseph n'arrive même pas à prononcer correctement son texte ni même à se tenir debout de manière plausible. Un autre essaie le genre Lou Reed avec guitare électrique et accent parisien le ridicule ne tue plus depuis longtemps. Seul Anne-James Chaton offrait une prestation remarquable. Il lisait son texte comme un couplet superposé au refrain bouclé sur un rythme de consonnes voyelles super désabusé j'ai aimé l'influence manifeste de ce vieux et génial Bernard Heidsieck. Une mention spéciale pour Laure Limongi et son Eros Peccadille que j'adore je vais lui proposer si elle le veut bien de lui apprendre à se servir du micro de manière métaphoriquement érotique c'est à dire susurrer ses textes avec une voix suggestive ça pourrait vraiment le faire ! Je n'ai pas pu écouter les trois derniers écrivains de la soirée car je n'avais pas la permission de minuit et je me levais le lendemain à cinq heures du matin. Cauchemar climatisé chez télé fin six mi-temps de coupe du monde à la suite travail intensif et fatigant. Dimanche huit mi-temps de coupe du monde à la suite et j'ai les yeux brouillés. Je fait de mon mieux : trop vingtième siècle ! (la fiction de l'été c'est vous)
Jeudi 30 mai. J'ai fait une sorte de pacte pacifique avec ma compagne. Nous mettons un terme à la guerre de tranchée permanente auquel nous nous sommes livrés depuis des mois. Rien n'est résolu mais tant pis ! Les problèmes de couple sont solubles dans l'amour. Les problèmes de fric sont sans intérêt réel et le désastre pour l'enfant est manifeste. La cohabitation de deux artistes dans le même lieu est notre vrai problème. Ce n'est pas le lit. Ce n'est pas l'ego. Ce n'est pas l'animal qui marque son territoire. Le vrai problème c'est de sentir l'air du temps. L'air que nous respirons ensemble ne sent pas toujours la même odeur. Merde, pétrole, fleurs et tutti quanti en pollution. L'air ne résonne pas des mêmes bruits ni des mêmes délires. Silence ou bordel assourdissant. Pour moi l'air du temps c'est le jazz, la virtuosité musicale et surtout le passage ultra rapide du monde du travail à celui de l'art. Pour Marie-Jo l'air du temps c'est la lenteur et la création immatérielle conceptualisée dans la perpétuité de l'inconscient. Je doit faire l'effort d'admettre réellement et de respecter sincèrement le travail de l'autre. Un exemple à contrario. Si j'habitais dans le même atelier que Joseph Beuys je ne supporterai pas ses bouts de gras, sa cire dégueulasse et ses trucs machins bizarres en feutre. On pourrait citer à l'infini ce genre d'exemples. Comment vivre avec Robert Filliou. Des vieux dés à jouer pourris, des boîtes de poussière ou une bouteille de "Pomerol" brisée. L'idée est belle et intéressante. Seule l'idée et la sensation du travail bien fait me rassure et me réconforte dans les moments de doute. Je vais ralentir le rythme de rédaction de ce petit journal. Et puis c'est le début de la Coupe du Monde dont tout le monde parle et des élections législatives dont personne ne parle et qui me semblent pourtant extrêmement périlleuses. "Ca peut paraître insensé qu'on fasse des choses sans savoir pourquoi, et pourtant, durant presque toute mon existence, c'est ce qui c'est passé." Jim Thompson, 1275 âmes
Vendredi 24 mai. Nous avons donné un très bon concert avec Fred van Hove au Pannonica de Nantes. J'en reviens heureux et apaisé. Improvisations au piano avec saxophone alto ou clarinette basse, puis accordéon et cornemuse. L'acoustique du lieu est superbe et très matte, un peu comme celle d'un studio d'enregistrement. Elle est a l'opposé de l'acoustique ultra réverbérante des églises ou nous avons enregistré le disque orgue et saxophone. Jouer avec Fred est une activité de guerrier pacifiste. Il faut débarquer avec un très haut niveau instrumental et mental. On vient de loin. On se salue chaleureusement depuis l'année passée. On ne parle pas musique. Je lui demande la durée approximative des improvisations. "Ce sera quand elle se terminera" Pas de répétition. Pas de combine douteuse. Pas de truc pour se retrouver. On joue à fond. Ce soir on improvise pour de vrai ! Fred est une légende vivante. Jouer avec lui donne l'énergie des grandes années de l'histoire de la "free music" en Europe du Nord. Energie de la négation de l'oppression et affirmation de la liberté. Energie de l'expression abstraite puis concrète. Energie lyrique et intelligence parfaite de l'instant. Energie sensuelle et drôle. Désespoir et optimisme indéracinable. Liberté sous entendue et entre aperçue à l'aube des années soixante. Liberté retrouvée le temps d'un concert. Ce duo avec Fred est pour moi l'aboutissement de plus de trente ans de travail acharné du saxophone et de la musique en général. Surmonter le doute. Rester fidèle à l'histoire de la "free music" et rester aussi dans l'air du temps. Jouer le présent et l'émotion absolue de la vie. Nous avons été chaleureusement accueilli au Pannonica. La salle était comble. Le public, très sympathique, était constitué pour moitié de lycéens à qui la ville de Nantes offrait une journée culturelle. En première partie se produisait un solide atelier d'improvisation dirigé par Guillaume Roy. Un musicien que je connaissais vaguement à l'époque ou il jouait avec le grand orchestre de Jean-Claude Asselin. Cet atelier était supervisé par Fred qui les a guidé et conseillé pendant deux jours. Ils seront invités en retour au festival d'Anvers dans le cadre d'un échange culturel. Les participants semblaient très motivés. J'ai parlé avec Nusch. Une des trois pianiste du collectif. Elle est spécialisée dans l'improvisation et ne veut pas entendre parler d'autre chose. Elle est très motivée !
Jeudi 23 mai.
Très bon film documentaire de Guy Girard sur "Campus" projeté dans les studios de répétition et d'enregistrement "Campus". Cet endroit était un haut lieu de la musique des années quatre vingt. Ensuite la crise, l'oubli et les difficultés s'installent. Les locaux sont situés à coté de l'ancienne Galerie Donguy. Même démarche des propriétaires pour expulser toute activité artistique du quartier de la Bastille. Les prix flambent et les spéculateurs sont prêts à tout dans ce quartier dénaturé par des individus plein de fric. Pour la galerie, les propriétaires avaient quintuplé le loyer de Jacques Donguy en fin de bail. Il fût obligé de déguerpir. Pour le studio "Campus" ils devaient se casser les dents contre l'acharnement de Jean-François Pauvros, prêt à tout pour défendre les studios. Il est président de l'association Campus régie en loi de 1901. Les musiciens ont occupés les studios jour et nuit et ils ont foutu un sacré bordel ! Le film retrace cette lutte. Les artistes sont embastillés dans les studios sans électricité, avec certains murs défoncés par les cognes de l'immobilier. L'esprit punk se montre constructif dans un quartier détruit par le fric et devenu l'ombre de lui même. Je n'ai pas suivi le deuxième film à la gloire de Jean-François Pauvros. Je ne voulais pas rester une seconde de plus dans la même pièce que son grand copain et manager. Il a sorti une compilation de plusieurs albums sur les groupes underground des années quatre vingt en oubliant l'extraordinaire groupe "Axolotl". Je ne supporte plus les gens qui réécrivent l'histoire comme bon leur semble, au gré de leurs inimitiés ou de leur bêtise.
Mercredi 22 mai, 22 heures, deuxième partie du premier jour de la saga "Phosphor" aux Instants Chavirés. Le groupe berlinois déniché par Jacques Oger pour son label. Peut-on encore parler d'improvisation ? Absolument pas de mon point de vue. Leur esthétique est indéniablement fixée et balisée à l'avance. Elle repose sur le jeu du silence. On ne fait ni la guerre ni l'amour, on fait le silence dans les rangs ! Ce groupe est très spectaculaire dans son extrême discrétion. Son attitude est figée et théâtrale comme sur une vieille photo de "The Original Dixieland Jazz Band". Le joueur de soubassophone est installé au centre de dix musiciens. Gigantesque ralenti sonore. Jeu minimum du souffle. Triple piano. Feulement. Chuintement. Amorce d'attaque étouffée. J'avais la sensation d'être en présence d'une œuvre plastique de Joseph Beuys. Le génial auteur des pianos emballés dans du feutre pour échouer dans une pièce sourde et oppressante. "Phosphor" ne m'a pas créé de jouissance sonore et je n'ai pas aimé le groupe de suite. J'ai aimé seulement après réflexion. Une réflexion sur le peu de réverbération du son à peine deviné. Une réflexion sur l'absence de son et donc sur l'absence de sa réflexion. Leur démarche est intéressante. Elle est a l'opposé de celle de John Cage. Le groupe "Phosphor " entraîne l'auditeur dans une surdétermination du propos musical et dans un assourdissant silence tragique. Pressentiment menaçant. A l'inverse John Cage découvre de manière optimiste la surprise amusante de l'absence d'événement organisée.
Mardi 21 mai J'ai emmené mon fiston au cinéma voir "La guerre des étoiles". Décor de cathédrales et paysages romantiques. "Que la force soit avec toi !" Iconographie se référant à l'art occidental de la renaissance au surréalisme et aux esthétiques des dictatures du vingtième siècle. La forme dévore tout cru le fond du film, plein de bonnes intentions. "C'est à regret que j'abandonne la démocratie." A la fin on comprend le message destiné aux parents. Les enfants n'y voient évidemment que du feu et des bagarres… La république a tout perdu en utilisant les méthodes terroristes de l'adversaire. En l'occurrence il s'agit de fabriquer une armée de clones, soldats robots ne sachant qu'obéir aux ordres des dictateurs. La forme est époustouflante et le fond poussif. La forme relègue les logiciels de chez "discreet" comme "3d-max" ou "Frost" au rang d'aimable machines à café disant bonjour. La production en image de synthèse Lucas Digital Ltd. est d'une qualité sans égal. La planète machin fonctionne toute seule. A aucun moment on ne rencontre dans ce film un seul travailleur ou un simple employé à la surveillance d'une machine. Les enfants croient que tout marche automatiquement. Les planètes se construisent et se régénèrent sur la simple volonté de l'esprit. La musique de John Williams est omniprésente du début à la fin du film. Elle se réfère à la musique romantique et contemporaine de Malher à Schoenberg en passant par Varèse. Comme pour tous les grands films américains des millions de gens écoutent sans s'en rendre compte de la musique symphonique purement classique. En dehors des films, ils continuent à penser que cette musique est trop élitiste pour eux. Les élèves de Schoenberg on fait fortune à Hollywood. Bref, si je vous dit que j'avais évidemment décidé de passer le soir aux 7 Lézards écouter Inès Desquines chanter des compositions de Steve Lacy, vous ne me croirez pas ! Le film m'avait épuisé et j'étais incapable de me concentrer sérieusement sur ce qu'elle faisait ! Après Star Wars et son Barnum symphonique je défie quiconque d'écouter une autre musique. D'un certain point de vue c'est comme si tu prends des coups dans la gueule… Après tu rentre te coucher… Impossible d'en redemander. Donc je ne peux pas vous dire ce que j'ai pensé de ces reprises des thèmes de Steve ! j'étais K.O. debout et j'ai mal dormi.
Dimanche 17 mai. Les petits euros sont durs à gagner et facile à dépenser. Ils me suggèrent chaque fois la réminiscence d'une vieille chanson de TC Matic " Putain de putain, c'est vachement bien d'être euro-péen" J'entends la voix d'Arno quand je fais mes courses. "Putain de putain" ! J'ai reçu l'excellent disque son@art que j'ai mixé et réalisé pour Jacques Dongy. Le titre de ce disque est "Code, poésie expérimentale 1953/1973" avec le poète Jean-Clarence Lambert et la musique de son ami Jean-Yves Bosseur. J'étais bouleversé par la beauté et la chaleur de la voix de Jean-Clarence pendant l'enregistrement. Il possède une maîtrise phénoménale de sa diction et une voix extrêmement bien "placée". Sa splendide poésie a été captée en une seule prise. "J'éprouvais un extraordinaire sentiment de détachement… Dans ma tête, une comptabilité monotone, quelque litanie sans dieu… Mon pouls s'accélérait. Seul ton nom, Ariane, Délie - Délie à la ceinture ouverte, Bérénice incertaine… J'étais en chute libre…" Toujours pour son@art j'ai numérisé une vieille bande magnétique enregistrée en 1948. Il s'agit d'un poète totalement oublié nommé Altagor. Il avait inventé une langue absolument nouvelle et incompréhensible pour quiconque. Il parle tout seul avec des intonations d'après guerre. Une autre bande fleuve d'Altagor est un enregistrement d'une musique jouée par lui seul avec des instruments fabriqués par lui seul… Il semblerait s'être brouillé avec son concurrent en solitude, l'ineffable Isodore Isou. Altagor est le fantôme de l'avant garde.
 

Hexagonal Data Silence toujours d'actualité 7 ans après. J'ai appelé comme tout le monde à voter Super Menteur.