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(Juillet
2002
AU JOUR LE JOURNAL LE CONCERT DE 3D-JAZZ A LA GUINGUETTE
LE CHING DONG - LE PLACARD

Mardi 30 Au départ de ce journal je voulais informer mes lecteurs sur l'évolution progressive de mes projets musicaux. En réalité j'écrit des comptes rendus sur ce qui c'est déjà déroulé. J'écrit sur ce qui est déjà presque loin dans un passé récent. Je vais vous parler maintenant d'un concert qui s'est déroulé il y quinze jours. Deux semaines ! Presque une éternité ! Je suis souvent angoissé et j'ai le trac. Dans ces moments je suis en retard pour écrire des commentaires sur les répétitions. D'une certaine façon je fait du journalisme sur le web au lieu d'écrire un carnet de voyage musical au jour le journal.
Le concert de 3D-Jazz à "La Guinguette Pirate" fût sûrement le meilleur du groupe. C'était le dernier dans mon esprit. Je voulais en finir avec ce groupe pour mille raisons. Mais c'est évidemment impossible de dissoudre un groupe qui joue aussi bien avec un son aussi puissant et excitant. "La Guinguette Pirate" amarrée sur le quai de Seine est une des meilleures salles de Paris. Elle est décorée avec une folle originalité. On ne trouve pas mieux dans aucune capitale du monde. Une grande terrasse est joliment installée sur le quai pendant l'été. L'ambiance est très décontractée pour la région parisienne. J'ai démarré ce concert en jouant de la cornemuse en solo sur le quai, près des bittes d'amarrage et du bar. J'ai improvisé sur un disque de Natacha Atlas diffusé sur la terrasse. J'étais dans le rôle du joueur de cornemuse urbaine. Le paysan de Paris sur scène. Je suis descendu, tout en jouant, vers la proue du bateau pirate où est installée la salle avec ses écoutilles. J'entraînai le public dans mon sillage. Mon orchestre était prêt à jouer et la première pièce des "Epîtres selon Synthétique" a immédiatement chauffé la salle. Il y avait une assez bonne affluence pour la fin juillet et le concert fût un grand succès. Le public et les musiciens ont pris leur pied. Inutile de chercher autre chose ! Les gens voulaient acheter le disque et connaître les prochaines dates du groupe.
De mon point de vue le bilan est plus contrasté. J'ai eu quelques difficultés à jouer de manière aérée. J'ai encore fait plusieurs erreurs d'interprétation des thèmes. Les musiciens jouent chaque fois de manière différente et imprévue ces "Epîtres". Certaine fois je suis fou de rage ! J'ai l'impression qu'ils s'ingénient à me planter. D'autres fois je pense que la surprise de cette sorte d'improvisation dans l'accompagnement est le prix à payer pour arriver à une grande puissance d'expression. Le concept qui présidait aux débuts du groupe était la notion de superposition de strates sonores et de rythmes les uns sur les autres. Superposition des rythmes sur les thèmes, des thèmes sur les modes, des modes sur les continuums, des continuums sur les climats et images qui sont générés par l'échelle de chaque "Epîtres". Evidement la section rythmique prends son indépendance et renverse immanquablement la logique du saxophone. L'idée de départ était que la basse et la batterie se mettent en boucle répétitive à la manière d'un échantillonneur numérique. En quelque sorte la transformation de l'homme en une machine qui refuse d'obéir aux ordres. Le résultat peut être passionnant à écouter mais difficile à assumer pour le "souffleur". Je doit me mettre en place en tranchant dans le vif d'un rythme compliqué par l'absence de "break". Les syncopes asymétriques jouées tout azimut rendent obscur le début de la mesure. Le saxophoniste peut facilement se brûler les doigts dans cette fournaise librement "funk". Je sublime le son lorsque j'arrive à dominer les fauves de l'orchestre sans me faire dévorer. La musique devient alors vraiment bonne et intéressante à écouter. Je peux ensuite laisser le trio basse, batterie et "live" électronique jouer sans moi pendant 5 ou 10 minutes de manière passionnante.
Quelques jours avant le concert j'avais fait une répétition en duo avec Erick Borelva à la batterie. Nous avions travaillé sur le silence et la raréfaction des rythmes et des notes. Nous avions recherché une extrême réserve dans la mise en valeur des continuums électroniques. Erick est un batteur fantastique. Il cherche tout le temps des nouvelles directions musicales. Il se remet toujours en cause à travers la musique qu'il joue. J'ai fait deux répétitions avec Champo Villa qui fait un travail admirable dans ce groupe. J'ai mis au point avec lui les continuums électroniques sur l'ordinateur portable. Je l'ai encouragé à augmenter sa palette sonore en utilisant sur scène la guitare électrique qu'il joue très bien et le vieux synthétiseur analogique "Korg" acheté d'occasion. Il dispose maintenant d'une vaste instrumentation qui peut se superposer en strates. Ordinateur plus guitare plus synthétiseur analogique. Et bien sûr nous avions fait, la veille du concert, une grande répétition avec tout l'orchestre. Quand Thierry Negro arrive tout peut se produire. Le mélange sonore explose et la musique déboule en gerbes incandescentes. D'autres fois il joue ce qu'il veut à la basse et la musique s'enfuit loin de nous. Je deviens furieux et les choses se passent mal. Thierry ne laisse personne indiffèrent. En général le public l'adore ou le déteste. J'ai souvent entendu des critiques à son égard. Personnellement j'ai toujours été fasciné par son approche hallucinée de la musique encerclée par l'esprit "dub". Il était le bassiste de "Human Spirit" qui fût probablement le meilleur groupe français de ces dix dernières années.

Lundi 29 Je lis sur mon super écran "porte et fenêtre" un message électronique de Tadao Takeuchi qui me signale un concert de "Soul Flower Mononoke Summit" au kiosque à musique du jardin du Luxembourg. C'est idéal pour me changer les idées après la répétition éprouvante d'aujourd'hui. Ce groupe est composé de deux "ching dong", qui peut se traduire par "aigu grave" ou "ding boum". Le "ching dong" est un jeu de deux petits tambours et d'une cymbale accrochée à une petite cage d'oiseau sanglé sur le devant de l'interprète. Ces percussions réservées aux femmes se jouent debout en marchant ou en dansant. Le chanteur joue du "sanshin" ce qui veut dire trois cordes. L'orchestre est complété par une clarinette, un accordéon et une basse électrique. L'ensemble fait songer à de la musique "kleitzmer" nippone avec tendances "rock folk irlandaise". Takashi Nakagawa jouait du "punk rock" bruyant. Il a eu une révélation il y a sept ans lors du tremblement de terre de Kobé. Il a monté cet extraordinaire groupe de "suchi protest song". L'orchestre joue des chansons ouvrières du vieil ouest arrangées à l'orientale et des compositions originales critiquant le capitalisme du Japon. Ils ont terminé leur concert par une version de "l'Internationale" qui m'a tirée des larmes d'émotion. Le public composé de gens âgés, venus pour la plupart par hasard, applaudissait avec enthousiasme. Tadao Takeuchi m'a envoyé des explications supplémentaires. Je vous les livre telles quelles à partir de cette phrase. Le répertoire de "Soul Flower Mononoke Summit" est composé de chants syndicalistes révolutionnaires, de bluettes début de siècle et de "jingles" publicitaires. Ce groupe est un "marching band" du pays du Soleil Levant. La fanfare "ching dong", du nom d'une percussion portative créée à cette occasion, a vu le jour vers 1910 dans l'archipel. Un japonais était tombé sous la charme de l'exotisme d'un "marching band" de la Nouvelle Orléans. Il avait invité ces drôles de musiciens à Tokyo. Les instruments occidentaux du genre banjo et grosse caisse ont été rapidement remplacés par leurs équivalents japonais "shamisen "et "taïko". Ces fanfares Interdites pendant la seconde guerre mondiale sont revenues en force pendant la période de la reconstruction. Elles ont été supplanté dès le début des années 60 par la télévision dans sa fonction publicitaire. Le "ching dong" n'a jamais connu les honneurs d'une reconnaissance officielle. Il est trop populaire, trop hybride et souvent irrévérencieux. C'est curieusement la scène "underground" qui a fait renaître le "ching dong" avec la même force et la même absence de scrupule que ceux du passé. Le "Soul Flower Mononoke Summit" est de ceux-là. Ces musiciens de la scène "punk pop" haïssent l'ordre moral de Tokyo, la morgue des grands patrons et la politique décadente. Ils ont emprunté les instruments acoustiques du "ching dong" en 1995. Leur objectif était d'attirer l'attention du pouvoir sur la situation des sans-abri, des émigrés coréens ou sud-américains et des plus pauvres à la suite du terrible tremblement de terre.

Vendredi 26 Comme chaque année depuis trois ans j'ai participé à la nouvelle édition du "Placard" http://placard5.dokidoki.fr/ le fameux événement de musique expérimentale électronique. Trois jours non stop pour 12 personnes équipées d'écouteur individuel. Cette année trois pièces de l'appartement parisien étaient installées pour recevoir l'événement. Deux pièces simultanées à Paris et deux à Tokyo. Chaque pièces de ces deux continents étaient reliées via le réseau Internet en "streaming" et il était possible d'entendre en temps réel les musiciens électronique à l'autre bout de la terre dans la troisième chambre. J'ai joué vendredi à 15h40 heure de Belleville et 22h40 heure de Tokyo. Plus de 250 performances ont été présentées pendant ces 72 heures underground. J'ai suivi de loin en loin ces trois jours noirs et ces trois nuits blanches. J'étais en pleine préparation de mon concert à "La Guinguette Pirate" et j'avais la tête ailleurs. Je ne ferai pas de compte rendu détaillé comme pour l'édition de l'année passée (le Placard # 4). Il faisait extrêmement chaud dans l'appartement de Eve & Hellekin. Il était presque impossible de se saisir d'un casque pour écouter une performance. Il y avait trop de monde en représentation pour pouvoir vraiment se concentrer sur l'écoute de la musique. Il faut songer à trouver des locaux plus grands et passer à 24 casques. L'événement m'a semblé quelque peu victime de son succès phénoménal. J'ai donc présenté "MixoFluxus (pour le 40ème anniversaire du mouvement)". C'est exactement le même projet que j'avais présenté à "l'atelier zéro-un" en avril. (Journal) Avec l'électronique il suffit de recharger le "back up" en data sur le disque dur de la machine numérique et de se remettre dans l'esprit de l'œuvre. Et voilà ! c'est prêt à servir ! Ca change des instruments acoustiques ou il faut des semaines de préparation pour jouer quelques minutes. A la fin de ma prestation j'avais demandé à mon fils de m'accompagner avec son"game boy". L'idée avait tellement bien fonctionné l'année passée que je n'ai pu m'empêcher de recommencer. Bien m'en a pris car il m'a permis de remettre dans une perspective intéressante les deux dernières pièces de "MixoFluxus"

 

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Placard #5 du 26 au 29 juillet 2002