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juillet 2003
AU JOUR LE JOURNAL C'EST FINI ! JE VOUS LIVRE LES CHRONIQUES DE CE PRINTEMPS ECRITES POUR OCTOPUS & LES ALLUMES DU JAZZ

Les rencontres Zieumzic En pleine grève des intermittents du spectacle, début juillet, Nush Werchowska et Heddy Boubaker ont réuni une vingtaine d'amis musiciens, jeunes pour la plupart. Le plus petit festival de la France underground venait de naître dans les environs de Rennes-les-Bains, village thermal du pays Cathare. Ces rencontres réalisées avec zéro euro étaient organisées au dernier moment. Chaque musicien était volontaire. Il devait payer voyage et nourriture et jouer plusieurs fois dans différentes formations et situations. Idéalisme et volontarisme absolu servaient de moteur en lieu et place de subventions et de salariat intermittent. L'émotion d'une musique très forte atteignait une dimension mythique dans cette nature sauvage traversée de toute part de sources chaudes, torrents et cascades. Comme l'eau coule insaisissable en travers des doigts de la main, la musique improvisée est inséparable du lieu ou elle est jouée. Cette proposition axiomatique est évidemment invérifiable. J'ai été désigné pour ouvrir le festival. Soprano et clarinette basse solo dans l'esprit héros oublié de l'improvisation totale. Concert chez M. Artysanna, réincarnation new age de M. Natural. Il donnera un sérieux coup de main pour la bonne marche du festival. Rendez vous ensuite sur la crête de la montagne au bord du précipice. Guillaume Viltard contrebasse solo. L'archet dans le ciel de l'improvisation magique. Ensuite votre serviteur guide l'assistance au son de la cornemuse pour redescendre écouter " Las Vegas Powercut " dans la roseraie face au torrent. Concert sans lumière. L'esprit du rock après la coupure générale d'électricité. Amplificateur à pile pour le synthétiseur de Marc Lockett avec Wilfrid Chevalier batterie plus Heddy Boubaker saxo alto. Le lendemain " Semolina " avec Hervé Davy et Amaury Bourget sur la place du village. L'heure de la sieste troublée par la modernité d'un duo de guitares minimalistes. On court vers la roseraie. " Bulles " avec Sébastien Bouhana batterie, Antonin Chomet clarinette basse, Anne Choquet flûte à bec et violon alto, Marc Demereau saxo soprano et bricolage électronique, Heddy Boubaker saxo alto. Bulles de son. Bulles de free music. Bulles de minimalisme maîtrisé. Bulles de sonorité du bonheur. Place du village " Sponco " avec le puissant Vincent Chalot batterie à cinq grosse caisses, le mystérieux Christophe Grivel guitare électrique, l'omniprésent Heddy Boubaker au saxo alto et la formidable chanteuse Françoise Guerlin plus votre serviteur en invité. Les villageois ont flippé. Pourtant la musique était moins free que le " Europe " de Noir Désir et moins bruyante que le bal des commerçants du village. Décollage vertical d'un groupe en fusion et rencontre du troisième type. Soirée émotion dans la belle église romane. Mystique urbaine minimaliste avec le duo Bertrand Gauguet sax alto et Sharif Sehnaoui guitare électrique. Suivi par un vibrant duo d'amour virtuose de Soizic Lebrat violoncelle et Olivier Bartissol violon alto. Puis Cyrille Trochu l'accordéoniste aveugle et Anne Choquet flûte à bec. Les larmes me coulent des yeux. Puis final les quatre ensemble respect maximum. Le lendemain M. le maire remet bon ordre et interdit les concerts prévus sur la place et dans l'église. Avec réticence, l'hôtel 3 étoiles accueille le groupe " Free Area " de Nush Werchowska, meilleure pianiste de sa génération, plus le discret Sébastien Bouhana batterie et moi-même. Grande énergie et concentration. Ensuite " Aah " dans le jardin de la reine. Deux guitares Hervé Davy et Amaury Bourget plus Arnaud Besnoit à la batterie. Méchamment éjecté de la place du village le groupe donne une excellente prestation violente et révoltée. Fin de soirée près du camping à cinq km du village. Paysage extraordinaire. Tombée de la nuit sous un chêne multi centenaire. Arnaud Besnoit batterie, Cyrille Trochu accordéon et Hélène Compain clarinette. Les mots me manquent pour traduire l'émotion de cette rencontre. L'improvisation comme dernier stade avant l'arrivée des extra terrestres. Fin de soirée avec Heddy Boubaker au saxo alto, Sébastien Bouhana batterie et Guillaume Viltard contrebasse. L'improvisation totale est une démarche merveilleuse absolument inégalable. Quatrième et dernier jour. Duo de Nush Werchowska et Christine Sehnaoui. Deux voix parallèles. Improvisations posées un peu comme une belle sculpture sonore immobile dans les salons de l'hôtel. Ensuite trio de saxo alto. Jean-Luc Guillonet, Christine Sehnaoui, Heddy Boubaker. Belle collection de textures sonores pour la chaleur de l'été. Fin du festival ambulant reçu enfin avec égards au beau Domaine de Caderonne dans le village d'Esperanza. Nush Werchowska piano, Hélène Compain clarinette, Soizic Lebrat violoncelle. Les trois grâces de l'improvisation. Un groupe formidable à écouter d'urgence.

Rue Léon. Le "Festival Nomades" au cœur du dix huitième arrondissement de Paris. Un quartier terrible et beau. Théâtre du "Lavoir Moderne" rue Léon. Théâtre du Paris contemporain et populaire. Le beau linge culturel se lave en public. On sort rincé mais heureux. Festival organisé par Blaise Merlin un jeune gars né dans le quartier et par la contrebassiste Joëlle Léandre habitante de l'arrondissement. Evidement une chronique de concert est impossible à écrire. Elle n'est qu'une perception subjective d'un seul individu.
Mardi
. Grève générale. Trois quart d'heure de marche pour venir total à la bourre. Je n'ai écouté que les vingt dernières minutes. Daunik Lazro, saxo baryton, Raymond Boni, guitare et Paul Rogers contrebasse à six cordes. Quelques réflexions gratuites. Servez-vous c'est "free". De nos jours on ne parle plus d'amour, on parle de musique improvisée non idiomatique. C'est à dire d'une musique dégagée de toute référence mélodique, harmonique et même rythmique.
Mercredi. Grève des intermittents du spectacle. Jamaaladeen Tacuma n'est pas venu jouer en première partie. Concert en forme de collage hystérique du groupe d'Erick Borelva. Formidable batteur. Accompagné au pied levé par Noël Akchoté, Raul Colosimo et Bobby Jocky à la basse. Deuxième partie avec le trio du new-yorkais David Grubbs. Décollage vertical. C'est l'heure du rock and roll. Le miracle toujours recommencé d'une sorte de croisement entre Captain Beefheart et Thelonious Monk. Compositions soignées jusque dans leur interprétation improvisées. Voix chaleureuse et guitare acérée accompagnés par Noël Akchoté à la seconde guitare et par Thomas Belhom à la batterie. L'orchestre sonne tellement bien que l'on perçoit une basse imaginaire malgré son absence. A la fin du set David Grubbs invite le public au bar. Il termine sa prestation seul au piano droit près de la sortie. Des éléments répétitifs s'enchaînent comme des poupées russe les unes dans les autres. Emotion rare. L'américain est à fond. Paris est une ville géniale.
Jeudi. L'ambiance est grave. On apprend l'hospitalisation de l'hôtesse du festival. Excellent groupe sicilien nommé "Switters" Gianni Gebbia possède une belle qualité de son au saxo alto. Vincenzo Vasi joue de la basse et chante dans la tradition italienne. Groupe très soudé avec une faculté de changer d'ambiance en quelques secondes. Improvisations préparée si ce n'est écrite. Grande qualité de fantaisie. Une sorte de dessin animé du free jazz. Citation de "The girl from Ipanema". Plongée bruitante. Lyrisme inattendu à la Albert Ayler. Francesco Cusa semble chasser les esprits autour de sa batterie. Mythologie de gestes millénaires. Seconde partie très attendue. William Parker le new-yorkais historien de la musique noire. Agusti Fernandez le meilleur pianiste d'Espagne. Paul Lovens un des inventeurs allemand de la "free music". Comme à chaque fois depuis trente ans il attaque une improvisation par un suraigu coup de crotale. Résonance interminable suivi d'une attaque de grosse caisse. Déchirure de l'espace temps. Signal de l'improvisation totale et absolue. Plongée dans l'espace. Eloignement du passé. Contraction des sensations. Réflexions des cellules nerveuses. Brèche dans la psychologie de l'auditeur. Admirable et merveilleux concert.
Vendredi. "Basse love soirée". Long voyage dans le métro souterrain pour atteindre le festival. Station Château Rouge. Forteresse du passé. Avant poste du présent. Je pense à Joëlle Léandre. J'ai abusivement dans la tête le "Libertango" de Grace Jones "La porte est claquée, Joel est barré !" Ce soir quatre contrebassistes invitent quatre compères musiciens. J'ai raté les deux premiers duos. Fantastique me dit Blaise. Je n'était pas là. Rien vu. Rien entendu. Je ne ferai pas un faux témoin. J'écoute le portugais Carlos Bechegas. Solo de flûte amplifiée à la place d'un duo avec Joëlle Léandre. Musique absolument inclassable contemporaine d'une grande émotion. Le flûtiste semble convoquer des esprits magiques. William Parker le rejoint pour remplacer la contrebassiste et casser le symbole de l'instrument couché sur scène sans musicien. Splendide confrontation acoustique. Enfin la tête d'affiche. " Alan Silva versus William Parker". Parker joue une "walking bass" puissante sur un tempo rapide. Silva joue en dehors pizzicato ou avec archet dans l'extrême aigu. Séquence avec des aiguilles à tricoter. Temps mort. "Fluxus" sans "Fluxus". Hésitation de l'auditeur. Brusque passage en Afrique. La provocation se transforme en rythme de sanza. Retour à l'éternel du jazz. Longue coda à l'air libre.
Samedi. Médéric Collignon, Claudia Solal et Lê Duy Xuân. "La théorie du chaos". Deux femmes et un homme. Pas de sonorisation. Pas d'instrument. Trois voix dans leur nudité perturbante. Quelques moments de dérision jamais gratuite. Ils miment la mort de Tosca. Ils visitent le jazz. Sons de percussion, basse et guitare produits par gorge, langue, poitrine et plexus. Admirable sens du rythme. Présence chaleureuse. Attitude humble. Humour subtil. Maîtrise sans faille. Médéric dans le rôle de Monsieur plus au cirque désigne Claudia. Concentration. Silence. Attention maintenant voici le fameux contre ut ultra aigu. Les osselets de nos oreilles rentrent en vibration avec le corps de la chanteuse. Deuxième partie. Concert en forme de voix parallèles qui se rencontrent dans des blocs d'émotion. Peter Jacquemyn en duo avec la légendaire Maggie Nicols. Musique absolument improvisée. Le bassiste est un peu la révélation du festival. Force de la nature il saisi le manche de sa contrebasse à pleine main. Des battoirs de bûcheron. Il fait résonner le corps de son instrument avec une violence et une sensualité inouïe. Membre du WIM d'Anvers il sculpte aussi des corps humains dans des troncs d'arbre. Magie Nicols est bouleversante. Difficile de rendre compte de sa présence sans superlatifs. Elle est à la fois voix blanche de peur et voix noire des déserts d'Afrique du Nord. Elle est drôle. Elle hurle de rire. Elle pleure. Elle prie. Elle réfléchie le public. Elle devient le public. Elle est chienne. Elle est sainte. Elle est belle. Elle nous révèle à nous même. 15 juin 2003. Pour Octopus le texte sera réduit de moitié.
Steve Lacy, The Beat Suite Un choix de poèmes de l'époque beatniks transformés magiquement en chanson. Ginsberg, Burroughs, Kerouac, Kaufman, au total dix compositions. Steve Lacy a réalisé cet enregistrement dans un studio parisien peu de temps avant son retour définitif à Boston ou il enseigne au "New England Conservatory". Cette "Beat Suite" le tenait très à cœur. Elle est le fruit d'une longue maturation. Tempos évidents. Mélodies admirables construites sur une structure modale. Harmonies fonctionnelles. Unisson du saxophone et de la voix féminine. Les timbres se mélangent et donnent l'impression de faire l'amour sans fin. L'interprétation d'Irène Aebi se rapproche par endroit du chant lyrique. Le trombone de George Lewis commente le texte avec des accents ellingtoniens. Jean-Jacques Avenel à la basse et John Betsch à la batterie propulsent l'ensemble dans l'éternel du "swing". Cette sensation ternaire opposée à notre monde binaire. La forme relève du jazz classique. Thème, improvisation et retour au thème. Comme dans l'œuvre de Monk la modernité ne réside pas dans la forme mais dans sa subversion permanente. La beauté du geste musical crée une émotion constante. Steve Lacy est un des derniers grands génie du jazz et un des plus important compositeur actuel. Son œuvre deviendra le nouveau standard du jazz à venir. Musique de la sensualité sombre et lucide. Esthétique de l'épuisement du monde actuel.
"Viking Bank" et "Saudade" de Pierre Barouh : Saravah. Deux rééditions absolument actuelles. "Viking Bank" enregistré en 1976 dans les mythiques studios Saravah de Montmartre. "Saudade" double CD regroupant les 45 tours sortis entre 1961 et 1965. Chansons d'un jeune idéaliste fixée dans l'éternité grâce au vinyle. Face A et B complétées par des archives avec Baden Powell et cinq inédits. La voix de Pierre Barouh est bouleversante. Une voix suggérant Henri Salvador en habit de Gainsbourg version post atomique. La musique de Pierre Barouh ressemble à des comptines enfantines jouées sur des rythmes de bossa nova avec un tempo jazz d'enfer. Des harmonies imaginatives au service de mélodies à siffloter. Des orchestrations ébouriffantes dont la recette semble perdue. Le son des grands studios parisiens des années 70. La tristesse joyeuse. La nostalgie du futur. La musique de Pierre Barouh est comme la cuisine japonaise. Salée et sucrée. Crue mais toute en douceur. Un discret parfum de bonheur. Le mystère de textes simples et évidents comme l'amour. Pierre Barouh est victime du succès phénoménal de "La bicyclette" ou de "Chabadada" qui cachent mille autres chansons tout aussi réussies. Ensuite Pierre Barouh a dépensé sans compter son énergie pour produire d'autres artistes avec dévouement et humilité. Brigitte Fontaine, Jacques Higelin, Pierre Akendengue, Barney Wilen, Steve lacy, Jean-Roger Caussimon et des dizaines d'autres sont sortis des studios Saravah. Le reste du temps Pierre voyage et écoute les autres. "Quand on fait le tour du monde, on n'a plus qu'à recommencer".
Steve Reich "The Desert Music" Steve Reich a séjourné dans les déserts de Mojave, du Nouveau Mexique et du Sinaï pour méditer cette musique. La chaleur du désert conduit presque à l'évanouissement. Fournaise de l'enfer. Infini de l'effroi. Mirages en cascade. Sueur froide. Palpitation cardiaque. Tachycardie répétitive des chœurs. Lyrisme du désert. Musique de la révélation. L'écriture de Steve Reich est inspirée entre autre par la Bible et la Kabbale. "The Desert Music" est construit sur des extraits de l'œuvre de William Carlos William : "l'homme a survécu jusqu'à présent parce qu'il était trop ignorant de savoir comment réaliser ses désirs. Maintenant qu'il peut les réaliser, il doit les changer ou périr". Cette phrase fait référence à la bombe d'Hiroshima. La beauté de la musique de Steve Reich sublime le désastre absolu du monde réel. Cinq mouvements en arche. Rapide. Modéré. Lent. Modéré. Rapide. Les 44 minutes de cette version de "The Desert Music" semblent se dérouler comme un flash d'un millième de seconde. Cet enregistrement fût réalisé lors d'un concert donné à Genève par "l'Ensemble". Ce nom recouvre l'Orchestre de Basse-Normandie, les Percussions de Lyon et l'Ensemble Vocal Séquence. Ce disque "live" dirigé par Dominique Debart est une interprétation très fidèle en comparaison de celle du Brooklyn Philharmonic dirigé par Michael Tilson Thomas. Le tempo des normands est un peu plus rapide et l'acoustique de la salle de concert évidemment très différente de celle d'un studio d'enregistrement américain.
"Ziskakan" de Gilbert Pounia au Casino de Paris le lundi 28 avril 2003 Orchestre flamboyant d'une douzaine de musiciens plus une pléthore d'invités. Dès la troisième chanson le public se lève et quitte les fauteuils de velours rouge. Tout le monde danse. Le "Maloya" est foudroyant. Enthousiasme et envoûtement immédiat du public presque entièrement réunionnais. Gilbert Pounia, longs cheveux et barbe noire est assis immobile en devant de scène avec sa guitare. Rivé à son micro. L'orchestre chauffe la salle d'emblée. Gilbert Pounia est le Bob Dylan créole. D'origine Malbar, ses ancêtres viennent d'Inde. Ziskakan produit le grand mixage : Afrique, Asie, Madagascar, Europe. Ce métissage est celui de l'histoire de la colonisation sur l'île de la Réunion. Ce n'est pas un mixage d'artistes occidentaux en mal d'exotisme essayant de récupérer les musiques du monde. Pas d'échantillonneurs en berne. Pas de pirates à l'abordage des rythmes de la terre et du ciel. Gilbert fait rimer "la France" avec "la souffrance" dans la chanson fétiche de Ziskakan "Bato fou". Tous les textes sont en créole. Langue du métissage des cultures qui ont composé la Réunion. Langue des poètes à l'heure de la mondialisation. Le métropolitain que je suis n'entrave que dalle. Peu importe. La beauté de la langue créole emporte l'auditeur. Sonorités françaises en forme de faux amis. Derrière la séduction de la danse se cache des textes de révolte sans rémission. Richard Bohringer viendra lire deux magnifiques poèmes de Pounia en français. A bon entendeur salut. Aucun doute n'est possible sur le sens des textes. Le groupe Ziskakan existe depuis 1979. Au départ Ziskakan était un mouvement culturel militant d'artistes et d'intellectuels pour défendre la culture et l'héritage créole. Le groupe de Gilbert Pounia a traversé les années avec des fortunes diverses. Olympia en 92. "Top Ten" Californien en 94. "Kora 97" meilleur groupe d'Afrique de l'est. Concerts en Inde. En 1998 au cours d'une tournée de six mois aux Etats Unis le groupe se disloque brutalement. Mais la "Danse du feu" de Ziskakan renaît toujours de ses cendres. "Maloya i kas zorey groblan"
Points de vue & images du jazz "The difference between a fish" Keith Rowe : guitare, Michel Doneda et Urs Leimgruber saxophones. Potlatch. Ce disque débute par le silence. L'absence de son délimite l'espace sonore vierge prêt à être transformé en musique par le geste créateur des improvisateurs. Enregistrement "Live" pour la radio. "One shot". Deux improvisations d'environ 25 minutes chacune. Le geste instrumental minimum devient presque virtuose dans son absolu dépouillement. Cette musique tend à éliminer les autres styles de musique tellement son approche globale est fermée à toute mélodie. Une sorte de dialectique du monde sonore. La note du bruit. L'instrument du son. Le mouvement du temps est mesuré par la vibration de l'air. La pensée esthétique de ces artistes est très différente de l'air du temps. Actuellement l'activité mentale est enfermée dans des petits dossiers organisés dans une arborescence similaire à celle des dossiers d'ordinateurs. Il faut changer à chaque fois de logiciels pour comprendre ou entendre le contenu. Ou alors c'est le pré fabriqué de la télévision. Tout est expliqué. Service compris. Dans "The difference between a fish" la saisie de l'ensemble relève de l'envahissement par le son. Son absence. Son silence. L'écoute possède une qualité visuelle. Le son est précipité dans l'image. Le guitariste Keith Rowe est influencé par la peinture abstraite du vingtième siècle. Il se réclame particulièrement de Jackson Pollock. Les saxophonistes Michel Doneda et Urs Leimgruber prolongent les découvertes d'Evan Parker. Techniques du jeu instrumental étendues contre le sommeil de la raison. La formation particulière et la qualité du son de ce trio composé d'une guitare et de deux saxophones rappelle celle similaire du trio "Axolotl" actif dans les années 80. Espace aquatique. Résidence sonore de "The difference between a fish".
"Hype Factory" de Jef Lee Johnson : guitare, claviers, basse, saxophone et programmation. Dreambox Media Ce double C.D. est enregistré dans la maison de Jef Lee Johnson. A Philadelphie dans son "home". Jef est le genre de type à s'enfermer chez lui pour enregistrer presque seul 120 minutes de musique. Il se calme dans son studio d'enregistrement. La vie le martyrise. Il ne veut plus voir ni entendre personne. Il s'enferme chez lui ! Il enregistre un album style "Funk" de chambre. Jef joue de la guitare en virtuose et chante avec naturel. Il joue aussi basse et claviers. Il programme les percussions et il souffle dans des saxophones. Son attitude est celle d'un bluesman balançant tout sur le pas de sa porte. Vue imprenable sur le paysage de l'Amérique réellement existante. N'oublie jamais cher lecteur combien nous sommes redevable du blues. N'oublie jamais sa provenance : Amerika avec un "K" comme funK. Bref. Hype Factory dégage un swing plombé par la tristesse et le désir. Jef transforme son désespoir en rythme élégant. Il compose une musique pour apaiser les peines de tout un chacun. Il marque une tendre répétition toujours différente du sentiment joyeux et atroce de vivre. Jef existe dans le tempo de l'amour. Dans les pires moments il continue à jouer la syncope du temps qui passe. Il fabrique l'instant "Hype". Dans son désarroi Jef Lee a préféré rester seul sans ses compagnons habituels. Sans les anciens de Prince époque "New Power Generation" ou bien sans Mac Coy Tyner, sans James Blood Ulmer ni James Carter et Ronald Shanon Jackson, sans Michel Portal ni Jeff Beck et Tonny Himas. Ce double album "Hype Factory" est un disque rare. Un enregistrement de l'action musicale en train de se jouer pour déjouer l'adversité
"Jom Futa" Cheikh Tidiane Fall : percussions, Jo Maka : saxophone soprano, Bobby Few : piano + Anedra Shockley : voix et Raymond Doumbe : basse électrique. Paris était la plaque tournante du "Free Jazz" des années 70. La platine tourbillonnante de la liberté. Le tambour de ce qui deviendra la "World Music". Les jazzmen américains de Paris comme les musiciens africains et français inventaient une couleur Nord Sud. Couleur inconnue jusqu'alors. Résultante de mélanges audacieux, de rencontres sans tricherie, d'amour et d'espoirs démesurés. C'était l'époque ou Jo Maka jouait dans les bien nommées formations "Intercommunal Free Dance Music Orchestra", "Edja Kungali", "Celestrial Communication Orchestra", "Synchro Rhytmic Eclectic Language"… Pas un seul musicien de cette époque ne pouvait être classé dans un style particulier avec une jolie étiquette bien stupide. Ils étaient extrêmement créatifs. Ils jouaient une douce et belle musique populaire. Ils jouaient en lutte frontale contre le système commercial. Pour eux la musique ne pouvait pas être une marchandise. Ils étaient contre l'impérialisme aussi bien que contre la corruption des régimes africains. Cheikh Tidiane Fall, fulgurant percussionniste est né à Dakar (Sénégal), Jo Maka, saxophoniste à redécouvrir d'urgence est né à Conakry (Guinée) et Bobby Few, pianiste incomparable est né à Cleveland (Ohio). Ils vivent à Paris. Jo est mort en 1981, enterré au cimetière de Montmartre. Ce disque est une réédition d'un microsillon de 1979 nommé "Jom Futa". Ce titre situe la musique dans une région du Sénégal. Il est augmenté d'un émouvant hommage à Jo Maka enregistré l'année passée. Ce trio de Cheikh Tidiane Fall nous permet de retrouver une page de notre histoire. Europe Noire. Magie Blanche. Ces musiciens ont été totalement oubliés. Ils étaient les premiers à nous faire entendre les joyeuses racines africaines de la musique actuelle. Cheikh Tidiane Fall, précurseur de l'avant "Afro Beat" est de retour !
" Les lèvres nues" Pascale Labbé : voix et direction, Hughes Germain : dispositif électronique, Gilles Dallais, percussions, Olivier Benoît, guitare, Paul Roger : basse, Christophe Rocher, clarinette. Christian Zagaria : violon, Christine Wodrascka : piano et une vingtaine de personnes ayant ou ayant eu recours à des soins psychiatriques. Les lèvres nues est un disque dépouillé. Nuages de "free music" planant sur le deuxième étage du "Pavillon des expressions" situé dans l'enceinte de l'hôpital psychiatrique de Montpellier. Cette musique est un patient montage d'une année d'enregistrements. Séances réunissant "des personnes ayant ou ayant eu recours à des soins psychiatriques" et d'excellents improvisateurs de la scène hexagonale. Pascale Labbé réunissait une fois par mois ces personnes pour les entraîner à exprimer leur voix par le chant, le cri, le râle ou le chuchotement. Au commencement était le verbe. La voix est la voie de la guérison. Le retour du refoulé crée soudainement une poignante beauté. Le corps supprimé et nié par le dérèglement psychique se retrouve décomposé et recomposé par le miracle du son des lèvres en action. Les huit pièces de ce disque ressemblent un peu à huit chambres de l'hôpital. Bien que ce disque original ne ressemble à aucun autre j'ai eu comme le sentiment d'écouter "Lulu" d'Alban Berg à l'envers. Prélude sur la mort omniprésente et développement en direction de la vie. Désir inversé sans résurrection. L'écoute de ce disque nous fait comprendre à quel point le blues et la tristesse sont des remparts contre la folie. La démarche de Pascale Labbé consiste en une sorte de "conduction" (dans le sens de Lawrence D. "Butch" Morris) de l'improvisation des chœurs et des ensembles sonores. Elle chante peu et se conduit plutôt comme un médium vis à vis des participants. Elle transforme l'héritage surréaliste de l'écriture automatique en une production vocale. Démarche sonore boitillante qui débouche soudainement sur la beauté musicale comme thérapie à la misère du monde. Universalité de l'expression
"La mort de la vierge" de Gérard Ansaloni Saravah SHL 2109 "La mort de la vierge" est un disque absolument hors mode. Pas au goût du jour. Pas de concept. Pas de sexe. Pas de techno. Pas de pop rock. Pas de Jazz. Pas de chanson française. Ce disque ne plaira pas aux intellectuels trop branchés. Si d'aventure son auteur était invité sur un plateau de télévision les flics l'évacueraient de force pour éviter qu'il ne soit lapidé par des spectateurs fanatisés. Cet album contient environ 900 alexandrins ou octosyllabes déclamés d'une voix déchirante. Une voix "sprechgesang" dans le style du Léo Ferré de "Ni Dieu ni Maître, et basta !". La musique d'écriture post moderne est flamboyante. Elle est jouée par une cohorte de synthétiseurs, échantillonneurs et musiciens. (Dont moi-même sur quatre des 22 pièces.) Ce disque est hors de l'esprit du temps dans sa forme mais très actuel dans le fond. L'ambiance globale recouvre le désespoir d'un homme contemporain complètement égaré dans un monde sans Dieu. Un univers ou tout est à vendre. Ce disque est très bien produit. Plus d'un mois de studio. Un livret de 40 pages. Une belle sonorité dans la tradition des grands albums de chanson française des années soixante et soixante dix. Cet album est une nouvelle folie de Pierre Barouh, producteur et inventeur du label Saravah. Il continue à dépenser une partie des droits d'auteur de ses grands succès comme "La bicyclette" ou "Chabadada" dans la promotion d'inconnus talentueux. Cet album de Gérard Ansaloni suit "Le Banquet" produit sur le même label. Il s'était bien peu vendu. Peu importe ! Pierre Barouh croit en Gérard Ansaloni. Il croit dans ce petit bonhomme tout maigre éclairé d'un large sourire modeste. Gérard travaille dans un bureau pendant la semaine. Il écrit de la musique dans son salon le soir quand ses enfants sont couchés. Il présente un profil d'anonyme. On ne l'imagine même pas sur une scène. Pourtant il se transforme sous la lumière des projecteurs en poète et "performer" bouleversant. Les yeux mi clos il balance ses tripes avec l'énergie d'un merveilleux illuminé. Il se met le public dans la poche en un tour de main… Son style néoclassique est quelque peu subversif tellement il défie la mode actuelle. Il n'invente pas de nouvelles formes musicales ou poétiques. A quoi bon ! De nos jours même les publicitaires affublent de moustaches les petites Jocondes de supermarché. Gérard Ansaloni utilise les principes esthétiques du dix neuvième siècle pour exprimer le sentiment romantique du mal de vivre et de l'amour fou. Toujours actuel, contemporain et inusable.




 

 
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